Zacharie Chanet, Les tres Rouquets

Portée de l'oeuvre

Publié le jeudi 11 décembre 2014 à 10:12 dans Actualités

Après la lecture des Tres Rouquets

Après la lecture des Tres Rouquets pouvons-nous limiter Zacharie Chanet à l’image d’un poète ayant beaucoup d’esprit, amuseur ?

Assurément, depuis la préface, le pastiche contre-burlesque de l’invocation à la muse jusqu’au dépit du poète invendu, nous passons par bien des moments comiques : la Marseillaise des cordonniers, l’épisode des deux lièvres et l’ironie visant les chasseurs, cette verve étonnante pour retoucher certains épisodes de la Bible ou de l’histoire…

Mais le lecteur ne peut être insensible à l’attachement de l’auteur au petit pays de Laroquebrou et à ses confins corréziens, à un soupçon de nostalgie dans l’évocation de l’auberge du Gal et du passage des maçons d’Argentat. Chemin faisant, les beautés historiques ou géographiques nous en sont rappelées : le château, la Vierge, réplique de celle de Fourvières, la langue d’oc qu’il fait vivre par son œuvre, certaines figures remarquables… comme le Docteur Claude Pouget, maire et conseiller d’arrondissement qui a travaillé à l’ouverture des mentalités et auquel il rend un hommage appuyé. Allusion est faite à Eugène Sérieys, poète local qui a chanté Laroquebrou. L’étrangeté du livre baigne dans le vieux pays « rouquet » qui va muter et des souvenirs retenus d’enfance dans le Cantalès d’autrefois. Les tres Rouquets sont le conte des cordonniers avec une bonne part de termes de métier, d’informations commerciales et humaines, jusqu’aux mythes fondateurs de la profession et au fond tragique de la condition cordonnière… À l’opposé de toute idéalisation, il rappelle certaines difformités héréditaires ou acquises, Taloneta est médisante.

On s’avise alors que l’éloge n’empêche pas une lecture critique : le premier marquis de Montal est évoqué pour ses frasques ; quand, après la grimace du polisson, on passe bien près du drame, la population locale semble plus encline à la vengeance qu’à la mesure. Le petit pays a ses charmes mais le brassage matrimonial vers Siran a heureusement « purgé le sang » et écarté les risques de consanguinité, l’auberge du Gal met au contact des déplacements saisonniers, Argentat avec la Dordogne est la promesse d’Ouest… Sortir, ouvrir les yeux, entendre d’autres voix… Une lointaine aspiration à l’aménagement en cours de la RD 20 !

 

Même si elles ne sont pas claironnées, certaines valeurs sont présentes dans ce livre dont l’impassible auteur a du cœur et dont certaines pages parlent à la sensibilité. La laideur, certes, permet quelque détachement mais le bonheur perdu des trois petits cordonniers quittant la bourgade de leur enfance, la douleur d’une mère, c’est ainsi que le destin frappe à la porte ; et la détresse de ceux qui n’ont pas réussi, et les épreuves des uns et des autres… Mentor discret, Zacharie Chanet nous donne l’occasion de faire le lien entre l’aventure cordonnière qu’il conte et certaines pages de la Bible ou de la martyrologie ayant la profondeur d’un mythe cruel, entre une colère roquaise d’un jour et l’intolérance des siècles passés. Profondeurs historiques toujours recommencées. Combien d’exilés au cours des temps ont quitté leur patrie, combien ont payé pour la faute d’un autre ou un dérapage possible à tout instant ?…

En ce monde où jouent des forces diverses, l’égoïsme, le chacun pour soi, l’amour aveugle de l’argent sont des imprudences… La médisance, la colère sont dangereuses, mais plutôt que de jouer les gourous ou les déplorateurs de la vallée de larmes, l’auteur préfère finalement amuser, faire rire (l’impayable sursum corda !), le parti le plus sage devant la vie, même s’il y a des petits monstres bien humains, une malédiction en cours et d’obscures fatalités à l’œuvre quelque part. On lit dans Les Tres Rouquets :

A l’s velhadas d’antan, me disiá ma grand-maire,

Quand òm canta en camin lo temps dura pas gaire.

Au-delà du jeu de l’imitation, Zacharie Chanet est attiré par La Fontaine, ses fables, sa lecture du monde… Le fou qui vend de la sagesse. Au niveau de l’action, le réalisme, l’adresse sont de bonnes réponses… Certaines figures féminines à ce compte, pratiques et lucides, savent tirer leur épingle du jeu, prendre rapidement les bonnes décisions comme Taloneta ou Rosine qui, après deux veuvages, mènera une existence apaisée. L’auteur des Tres Rouquets ne nous dit jamais rien d’explicite sur ses origines, Saint-Santin- Cantalès, Monédières, l’étonnante Marie Chanet, mère de deux enfants de père inconnu : Marie Julienne épouse d’un Auvergnat commerçant en parapluies en Hollande, et lui-même, Zacharie bon gars du pays, fonctionnaire des postes, figure sympathique de notre patrimoine régional si mal connu, poète ouvert au mouvement et à l’évolution, menant rondement cette histoire où l’espace géographique parcouru ne le cède pas en présence à la dimension du temps (Le Puy du Tour gaulois plutôt qu’Argentat), mais dont l’heuristique dit beaucoup.

La langue de Zacharie Chanet est quelquefois un peu trop perméable aux francismes mais peut-être un jour un cinéaste sentira-t-il tout ce qu’il y a de vertigineux dans ce conte occitan qui, au patrimoine de Laroquebrou et en aval, inscrit de grandes questions, l’histoire d’une profession, le monstre, le juif errant, la femme, le destin… La vie continue

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Zacharie Chanet